Le mot, l’écriture, le langage, la trace et l’empreinte, l’idée, le sens et bien plus encore. « Travailler le dimanche demande une humilité absolue, en une totale et stupide injustice. Voilà pourquoi j’ai choisi de copier le Larousse illustré », explique Gilles Barbier. « Ainsi, une petite phrase griffonnée peut occuper toute une vie d’homme », poursuit-il. Ce projet au long cours, immense et obsessionnel – dont un extrait de 24 pages est montré à la HAB Galerie (Le Voyage à Nantes) jusqu’au 26 septembre – est réalisé à main levée, version grand format. Avec humour et ironie, des œuvres sur papier (à l’encre ou à la gouache) côtoient des sculptures en matières organiques ou artificielles, dont les personnages – comme celui de la « Vieille femme aux tatouages » et les animaux taxidermisés – sèment le trouble, le doute et l’incertitude. Marie Dupas, chargée de projet du Voyage à Nantes et commissaire de l’exposition, commente une sélection de dessins et de sculptures présentés dans cette exposition, et tente d’éclairer la démarche de l’artiste.
« Réalisé pour la première fois en 1992, Game of Life – Jeu de la vie représente un labyrinthe constitué de cases, posées au sol, qui contiennent des morceaux de papier sur lesquels sont griffonnés des énoncés : “Habiter la peinture”, “Corriger la réalité” ou encore “Partir à la conquête de l’espace”. Sur l’un d’eux est écrit : “Travailler le dimanche”. Le pion, qui n’est autre qu’un mini-Gilles Barbier en cire, intitulé L’Inconséquence des gestes, est arrêté sur cette case : “Travailler le dimanche”, qui deviendra “Copier le dictionnaire”, et donnera corps à l’œuvre de l’artiste. »
« L’artiste copie à l’encre les définitions des mots qui apparaissent dans l’ordre alphabétique et reproduit à la gouache les illustrations du Petit Larousse illustré de 1966. C’est la feuille, de format carré, qui dicte le dernier mot. Cette entreprise nécessite des centaines d’heures de copie. »
« De feuilles volantes en carnet, la copie des pages du dictionnaire – des mots aux illustrations – engendre parfois des erreurs. Gilles Barbier les corrige, sous forme d’Errata présentés aux côtés des Pages. Chacune de ses erreurs est inventoriée dans un livre qui leur est spécialement dédié. »
« “La vanité de mon entreprise, dans le vaste jeu qu’elle entretient avec la vie, avec le corps, convoque la figure de la mort. Elle rôde toujours, non comme une ombre malfaisante, mais comme le risque d’un point final ; ou du reste d’un point-virgule”, écrit Gilles Barbier. Par et dans son œuvre, l’artiste garde le sourire malgré la gravité du sujet. »
« L’œuvre de Gilles Barbier fonctionne comme un gigantesque organisme en expansion, comme une constellation, à l’image de la sculpture composée d’os reliés les uns aux autres qui partent dans toutes les directions. A chaque articulation, une bulle blanche pour autant de mots-maux. »
« L’écriture et le langage, mais aussi la pensée et des idées occupent une place centrale dans la démarche de Gilles Barbier. En résonance à la copie – entreprise fastidieuse – du dictionnaire, des sculptures et installations de l’artiste viennent compléter ce périple dans cet univers de mots. Ici, l’écriture marque le corps d’une femme âgée, nue sur sa méridienne, la peau tatouée des marques de cosmétiques. »
« Dans cette œuvre, l’artiste nous parle avec la langue des signes, utilisée par les malentendants. Issues d’une culture, d’une éducation et d’une langue différente, deux personnes n’y verront pas – et n’y liront pas – le même message. Pour certains, ce ne sont que des mains dressées, pour d’autres, des mots à décrypter. »
« Pour Gilles Barbier, les pensées sont imprévisibles comme le fromage qui coule, glisse, s’échappe de son enveloppe. Elles creusent leurs galeries dans notre esprit comme les trous dans un morceau d’emmenthal. »
« Dans le dictionnaire, comprises entre les noms communs et les noms propres, les pages roses rassemblent les locutions latines et grecques. Ici, dans une salle entièrement peinte de la même couleur, Gilles Barbier donne la parole à des animaux morts conservés qui s’interrogent en latin sur leur existence, dans un dialogue absurde constitué de formules convenues et fossilisées. »
Claire Gilly